De Padoue à Tarente, une micro-odyssée introspective le long de l'Adriatique
Parti sur la route, pour écrire et mettre en images la trame d’une histoire contemporaine qu’il a imaginée, le narrateur filme le chantier d’une fiction à laquelle il sait déjà qu’il renoncera, par scrupule et par honnêteté avec lui-même.
Voici quelle est cette trame d'origine : Baba, dit Giuseppe, vit à Padoue, en Vénétie, dans Arcella, le quartier cosmopolite des faubourgs nord de la cité, depuis une vingtaine d’années. Quand il apprend qu’un petit-neveu, débarqué d’Afrique par la mer, a été pris parmi d’autres clandestins et placé dans un centre d’accueil provisoire pour sans-papiers, il décide brusquement d’aller le secourir. Partir, c’est emprunter le même itinéraire, qu’il emprunta dans l’autre sens à son arrivée en Europe. L’homme, intégré, furtif, a des choses à cacher de son passé d’immigré : revenir dans le sud, c’est se mettre en danger d’indiscrétion. Faire face aux fonctionnaires de rétention, c’est revenir dans la clandestinité ; se confronter à la mafia qui exploite les hommes dans les
champs rouges des Pouilles et de la Basilicate, et a récupéré le jeune, se confronter à certains autres étrangers : c’est comme descendre au fond du fournil et traverser à nouveau dans le véritable sens ses neuf cercles. L’itinérance se termine à Tarente, sur les bords du golfe, dans la nuit métallique des usines et la mort.
Renaud Anglès travaille sur l'écriture des textes qui deviendront la voix off d'un film. Sa préoccupation principale est la place qu'occupera le narrateur dans le récit.
« Ce projet est le chantier d’une histoire épique et tragique qui résonne avec mes propres obsessions, et je me suis dit que le sujet du film serait d’évidence ce qu’a été mon expérience en voyageant : une tentative de réaliser un film, qui doit supporter la culpabilité de faire en quelque sorte d’éléments tirés de vies individuelles des instruments au service d’une fiction. Ceci me travaille, mais il est difficile de renoncer à une trame et un héros qui existent depuis un certain temps. Qui ou qu’est-ce qui pourra me garantir que je le fais pour de bonnes raisons ?
Tout fait sens depuis que j’ai compris cela. Découvrir le film de Pasolini, Esquisses pour une Orestie africaine, a été, plusieurs mois après curieusement, une clé. Cela m’a libéré un peu du poids de m’attaquer à quelque chose qui me dépassait. Pasolini fait de ses recherches préparatoires et de ses réflexions sur l’écriture et la réalisation d’un futur film, un film en lui-même. Je m’enchaîne à cette optique. J’ai tout de même pensé souvent à Baba pendant mon voyage. Je partais autant à sa recherche qu’à la mienne. Je suivais sa trace, passant de la théorie documentaire à la pratique du réel, rencontrant plus ou moins longuement quelques alter ego, ici ou là. Comme lui, j’éprouvais une sorte d’inquiétude, de gêne heureuse, à descendre. Sans savoir si le voyage avait un sens, si l’effort aurait plus tard un sens, au-delà de l’expérience physique du présent. Et j’avais peur de ce que je ferais à destination. » Renaud Anglès.