"Journal du 20/6 au 26/6
Ma résidence à 47-2 me donne le temps d’approfondir un travail autour du papier, matière avec laquelle j’ai une profonde affinité plastique. J’habite pour un mois les locaux de l’association, qui est aussi l’ancienne imprimerie du Régional.
Depuis une semaine, je fabrique du papier à partir de rebuts et de matières locales trouvées autour de la Loire, qu’il s’agisse de récits ou de fibres récoltées. Je souhaite créer une série de journaux abstraits et sensibles des teintes du territoire cosnois, recenser des sensations par la couleur, traduire les gestes et les informations issus de cet objet de transmission.
Chaque journal sera accompagné d’un poème murmuré." MC
un journal
ça se lit - ça se conserve - ça allume un feu - ça informe - ça se plie - ça se déploie - ça tâche les doigts - ça sent - ça situe - ça donne une attitude - ça permet des lettres anonymes - ça se feuillette - ça se prête - ça isole - ça récupère les épluchures - ça accompagne le pastis ou le café - ça s'utilise en papier cadeau - ça traduit l'éphémère - ça ouvre à la discussion - ça protège - ça cale une table - ça se dévore ou s'apprécie - ça se froisse - ça se déchire - ça s'emporte - ça s'accumule - ça se recycle - ça chante ? - ça se distribue - ça transmet le passé, le présent pour deviner le futur - ça s'imprime.
Un journal s'empreinte de nos territoires.
HEBDO du 11/7 au 17/7
ODEURS DE JUILLET
*Les idées comme les éclairs
Allument mon intérieur
Traversent mon refuge
Et se saisissent des yeux ouverts.
-Intramuros de l’existence
Arrêtez de jouer avec l’interrupteur, j’aimerais me mettre en veille.*
C’est un congélateur familial. Les compotes ont conversé avec les champignons et autres victuailles des matinées de chasse. Il a accueilli les plaisirs d'un partage en toute saison.
Depuis que les propriétaires ont pris une autre forme d'existence, on y a rangé les textiles ménagers. A croire que les prochaines générations veulent conserver l’odeur des débats, l’empreinte des maux, les particules de peaux encore coincées dans une serviette pour éponger leurs mémoires.
Je me suis servie dans ces couches de vie pour bricoler.
Le lin et le coton accueillent la pulpe de papier fabriquée, absorbent l’excédent d’eau et révèle une matière palpable.
La présence du textile des aïeux au sein de mes recherches, est aussi devenue protection.
Je déplie les tas de draps et serviettes dérobés. Les plis mis à plat j’y découvre une nappe aux initiales de mon arrière-arrière-grand-père, des torchons rayés et chevronnés cousus par ma grand-mère à partir d’une toile-à-matelas, un drap double encore rempli du sommeil de mon enfance, rapiécé et alimenté d’un lé supplémentaire pour, j’en suis sûre, qu’il se tienne mieux sous la paillasse épaisse de la chambre.
J’étends les draps au sol sous le prisme des gestes inconscients de l’enfance. A chaque vague de coton, les odeurs remontent. Je me vois entourer les lits à préparer, celui marital ou ceux des estivants. Amatxi d’un côté, mon corps enfant de l’autre, nous répétons rigoureusement une chorégraphie symétrique. Observer. Imiter. Avancer conjointement. Transmettre. C’est peut-être dans cet interstice de vie où j’ai abordé pour la première fois la notion de rigueur - de la bouche d’une femme de ménage qui me murmurait chaque été « travaille bien à l’école pour ne pas ramasser la merde chez les autres comme moi ».
Puis les effluves de sa vie de femme-couturière se soulèvent à leur tour, je pense à toutes celles qui ont lavé, cousu, rapiécé, étendu nos linges. Sans bien comprendre, l’émotion m’emplit.
A l’Imprimerie, j’oscille entre mémoire du lieu et mémoires personnelles.
Je fabrique du papier, je l’empreinte, je le tisse, je déchire, mon corps est machine-outil-instrument-joue d’une mécanique. Mes gestes sont devenus sonores. Froisser, déchirer, mixer, tremper. J’étends mon linge, mes propres nouvelles en public. Parfois je tente de donner de mes nouvelles à un journal local. Inconsciemment je répète les gestes écoutés de ces femmes.
J’en suis là. Je fabrique des draps de papier au format de nos échanges épistolaires.
S’envelopper d’une couverture de souvenirs pour recevoir la chaleur de leurs coeurs, leurs expériences.