Hiver 2018, une voiture brûlée trône sur les bords de Loire. Sa combustion a atteint une température proche de celle d’un four anagama en fonctionnement : 1200°. Sur le capot se dessinent des paysages apparus à la cuisson qui rappellent l’aspect des pièces cuites dans ces fours à cuisson longue. La voiture apparaît désormais à l’état carbonique. Elle n’est plus l’objet de consommation pour lequel on a inventé la production « à la chaîne », mais une pièce unique, objet-témoin d’une transition.
Kurugama est la contraction en japonais de kuruma 車 / voiture et anagama 穴窯 / « four-trou », un four à bois couché utilisé au Japon dans la fabrication d’objets en terre cuite. À l’occasion d’un moment collectif, une voiture devient un four dans lequel sont cuites des pièces en terre, dont certaines sont façonnées à partir de pièces automobiles détachées. Les gestes, l’expérience de la matérialité, les rencontres générées, visent à reconnecter les participants aux techniques qui composent leur quotidien par la transformation manuelle d'un objet industriel usuel. La voiture est, elle, dotée d’une nouvelle fonction – une vie après la mort –, où elle permet la cuisson d’objets en terre dans un processus de transition et de renaissance. C’est une traversée de l’histoire de la technique qui part de la terre, première matière transformée par l’homme à l’aide du feu, et va à l’automobile, icône de la modernité. Tout cette expérience est nourrie par le re-enactement de l’histoire des potiers d’Accolay.
1. Le façonnage des pièces accompagné du céramiste Matthew Raw
Ensemble, nous récupérons des pièces détachées chez Auto Pièces 58. Nous les observons, les trions, afin d'en sélectionner certaines pour façonner des pièces en terre et/ou fabriquer des outils. Le façonnage des pièces nous permet d'essayer de nouveaux gestes et techniques, mais aussi éventuellement des fonctions pour les objets qu’ils fabriquent. Ce rituel évoque ce que les Hauka dans Les Maîtres Fous (1955) de Jean Rouch appellent « les dieux nouveaux, les dieux de la ville, les dieux de la technique, les dieux de la force ».
2. La construction du four-voiture et la cuisson, supervisées par le céramiste Christophe Léger
Une Fiat 600 rouillée trônant depuis des années au sommet d'une pile de voitures dans un garage à Gien, est progressivement transformée : nettoyage de la carcasse ; installation d'une sole en brique, positionnement des quatre alandiers, des deux cheminées, des plots réfractaires ; déplacement de la carcasse sur son support de cuisson ; fixation de grillage sur les ouvertures ; couverture de la carcasse de draps imbibés de barbotine ; placement de grandes plaques réfractaires sur le toit. La première cuisson a duré presque 24h et la température a plafonné autour de 800 degrés. Le four-voiture n'était pas suffisamment étanche. La projection en temps réel de la caméra thermique sur le four nous a permis de suivre le comportement de la chaleur à l'intérieur. Pour la seconde cuisson, l'intérieur de la voiture a été tapissé de fibre pour une meilleure étanchéité. Cette fois-ci, la température est montée à 1050 degrés !